Nouvelle présentation de la collection : DOKA

Geert Goiris

Geert Goiris, foto: © Rebecca Fertinel voor M Leuven

Nouvelle présentation de la collection

DOKA

Il y a dix ans, M a présenté une exposition du photographe Geert Goiris (1971). Aujourd’hui, Goiris revient, mais cette fois en tant que commissaire d’une présentation de la collection d’art contemporain. L’exposition s’intitule DOKA, ce qui est l’abréviation de « chambre noire » en NL et fait référence à l’espace magique où les images sont créées.

Geert Goiris

Geert Goiris, foto: © Rebecca Fertinel voor M Leuven

À M, nous considérons qu’exposer un artiste constitue un engagement à plus long terme. Ce n’est donc pas un hasard si nous avons demandé à Geert Goiris d’être le commissaire d’une exposition. En tant qu’artiste, professeur, penseur et mentor, il évolue au cœur du champ artistique belge : nous étions curieux de voir de quel point de vue il envisage la collection contemporaine de M.

Geert Goiris : « Je connaissais à peine la collection de M, mais je m’y suis plongé – d’abord sur papier, puis sur place, dans le dépôt. Sans projet préliminaire. Plus j’affinais ma sélection, plus je commençais à voir un fil conducteur.
 

Passion de l’été pour l’hiver, une œuvre vidéo de Lili Dujourie qui date de 1981 lui aura donné l’impulsion majeure. Cette vidéo de 15 minutes a été tournée en une seule prise. Il n’y a pas de son, la caméra est posée sur un trépied et le cadre de l’image reste inchangé tout au long. On voit une jeune femme – Dujourie en personne – dans un appartement au bord de la mer. Elle se tient debout, dos à la caméra, et regarde par la fenêtre. On voit la mer, mais pas la plage, comme si l’appartement était une cabine de bateau. Au bout d’un moment, un chien vient se coucher sur le tapis, la lumière du soleil entre, la femme regarde la mer. Il ne se passe pas grand-chose de plus, mais en raison du cadre restreint et de l’action austère, le moindre changement se remarque et il se passe en fait beaucoup de choses. C’est ainsi qu’elle se dépeint. Consciente d’elle-même, presque sensuelle, mais en même temps peu impressionnante. Le contraire des selfies que nous prenons et partageons en masse de nos jours ».

 

« À mesure qu’on s’imprègne de l’œuvre, on est comme absorbé dans un champ de tension entre l’espace intérieur intime et l’horizon inatteignable, entre regarder et être regardé. Le titre y fait également référence : c’est l’été, tout le monde veut sortir, mais elle se languit de l’hiver, quand on préfère rester à l’intérieur. Outre Passion, j’ai sélectionné quatre autres vidéos de Lili Dujourie. Dans toutes ces œuvres, elle explore les limites du familier, du réconfortant. Elle cherche les marges, les bords, les lisières de notre existence. C’est ce que j’aime faire, moi aussi, dans mon travail. Cette recherche de limites et le désir de les transgresser constituent le point de départ de la présentation de la collection. Elle s’étend sur cinq salles, avec une structure limpide. Les visiteur·ses peuvent suivre le parcours dans les deux sens, mais personnellement, je préférerais qu’ils et elles aillent de “l’intérieur à l’extérieur”, pour ainsi dire. Les œuvres de la première grande salle évoquent des intérieurs clos, presque claustrophobes. Dans chaque salle suivante, on franchit un pas de plus vers l’extérieur. Je ne m’en suis rendu compte qu’après coup, mais inconsciemment, il y a peut-être aussi une influence des confinements, lorsque nous voulions sortir, mais que nous n’en avions pas le droit ».

Geert Goiris

© Rebecca Fertinel voor M Leuven

Le début de toute dévotion

« Ce mouvement de l’intérieur vers l’extérieur est aussi un mouvement du familier vers l’inconnu, de la maîtrise vers la curiosité. Cela se reflète fortement dans le travail de René Heyvaert, auquel M a déjà consacré une exposition personnelle en 2018-2019. Il sort des ustensiles du quotidien de leur contexte et les dépouille de leur caractère fonctionnel. Il attache une fourchette à un bâton à l’aide d’une ficelle. Il découpe du papier peint en motifs géométriques. Souvent, on voit ce qu’on s’attend à voir ; Heyvaert réussit de manière magistrale, avec une intervention minimale, à nous faire regarder à nouveau, sans parti pris.


En préparant DOKA, je me suis souvenu d’un vers de Mary Oliver : “Attention is the beginning of devotion” (L’attention est le début de toute dévotion.) J’aime considérer DOKA comme un manuel de concentration de l’attention. En outre, je préfère ne pas donner trop d’explication quant à la teneur des œuvres exposées. Plus on en sait, moins on en voit parfois. Il est préférable de suspendre son jugement et de simplement regarder. Tout le monde peut regarder.

 

Regarder attentivement peut aussi aider à être plus critique. Prenons l’exemple de Colouring book for adults de Jef Geys : un collage de coupures des Pages Jaunes et de cartes de voitures de sport, d’ustensiles, mais aussi de soldats. Une critique implicite de la société de consommation : Geys montre de quelle façon formatée elle se présente à nous et nous force presque littéralement à sagement rester dans le rang ».

La chambre noire est un endroit où les images apparaissent par l’interaction de la lumière et de la chimie – un processus magique. C’est également ainsi que je conçois la présentation de cette collection : des œuvres qui sont restées dans l’obscurité d’un dépôt pendant des années et qui sont soudainement mises en lumière.

Geert Goiris

Entre humour et enfer

« À mesure que les salles se succèdent, la vue devient de plus en plus extérieure. Mais, peut-on jamais réellement pénétrer dans ce monde extérieur ? Ria Pacquée pose cette question dans la série de photos de sa performance It Carrying the inferno dans laquelle on voit un personnage discret et androgyne – It – dans divers endroits de la ville, entouré de gens, mais sans véritable contact. Il porte une boule dans ses mains – l’enfer, selon le titre.

 

La dernière salle, je la vois comme un jardin : un espace clos et structuré qui peut en même temps être porteur de l’aspiration à de magnifiques lointains. Sont exposés ici, entre autres, Labyrinthes et jardins d’agrément, une série de dessins de jardins de Jan Vercruysse, qui foisonnent d’allusions sexuelles – du moins, c’est ce que j’y vois, moi (rires). L’humour est un élément récurrent dans DOKA, l’objectif n’étant pas que les visiteur·ses repartent déprimé·es. On notera par exemple Mer, une pièce sonore d’Ann Veronica Janssens dans laquelle on entend le rire d’un enfant. Très entraînant : lorsque je l’ai écouté dans le dépôt, j’ai pouffé de rire sous mon casque. »

 

Sortir de l’obscurité

« Dès que la sélection était plus ou moins achevée, j’ai recommencé à avoir des doutes. Il manquait quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Un ami m’a fait remarquer que je me considérais trop comme un commissaire et pas assez comme un photographe. C’est ainsi que j’ai abouti à la chambre noire – au titre DOKA. J’ai passé des années à développer des photographies dans une chambre noire. C’est un endroit où les images apparaissent par l’interaction de la lumière et de la chimie – un processus magique. C’est également ainsi que je conçois la présentation de cette collection : des œuvres qui sont restées dans l’obscurité d’un dépôt pendant des années et qui sont soudainement mises en lumière. J’ai l’intention d’approfondir cette idée dans les galeries par la suite. Mais ceux qui veulent savoir de quoi il s’agit devront venir à M. »

‘Passion de l’été pour l’hiver’ still, Lili Dujourie, 1981, Cera-collection chez M Leuven © l'artiste & Argos Centre for Audiovisual Arts

‘Passion de l’été pour l’hiver’ still, Lili Dujourie, 1981, Cera-collection chez M Leuven © l'artiste & Argos Centre for Audiovisual Arts

DOKA

15.12.2023 - 05.01.2025