Kiluanji Kia Henda expose au M

Kiluanji Kia Henda expose au M

'Isle of Venus', Kiluanji Kia Henda

'Isle of Venus', Kiluanji Kia Henda

À partir de lundi 18.05, vous pourrez à nouveau visiter M et découvrir la première exposition solo en Belgique de l’artiste angolais Kiluanji Kia HendaDans ses travaux il traite de migration, architecturecolonisation, politique et histoireIl trouve très important de faire passer son message. J’apprécierais beaucoup que les visiteurs se documentent sur mes oeuvres par quelques lectures complémentaires. Tout le monde a sa propre histoire et interprète les choses à sa façon. Et c’est tant mieux. Mais j’aimerais aussi que les gens comprennent bien ce que je veux dire.’’

'Isle of Venus', Kiluanji Kia Henda

'Isle of Venus', Kiluanji Kia Henda

‘’Si vous n’êtes pas ouvert aux autres cultures, c’est la vôtre qui mourra.’’

Kiluanji Kia Henda

“Je montrerai quatre oeuvres au M, dont trois -The Geometric Ballad of FearIsle of Venus et Mare Nostrumfont référence à la crise migratoire. C’est ma façon d’aborder la tragédie qui se joue en Méditerranée. La souffrance, la misère, la mort.  Et la façon dont l’Europe y fait face.’’

 

Harmonie et angoisse

The Geometric Ballad of Fear est une série de 9 photos, dont trois seront montrées au M. L’idée a vu le jour lorsque j’étais artiste en résidence en Sardaigne. Dans cette île, la mer n’a jamais été porteuse de bonnes nouvelles. Et maintenant la migration est elle aussi vue comme un danger.’’

 

‘’Les photos ont été prises sur la côte, toujours en direction de la mer. J’ai apposé sur ces images des motifs inspirés des grillages que les gens en Angola mettent devant leurs fenêtres et leurs portes pour se protéger contres les dangers extérieurs. Pour moi, c’est une oeuvre très forte sur le plan esthétique, on perçoit l’harmonie dans la forme. Mais derrière le motif se cache quelque chose de sombre: la peur.’’

 

‘’L’oeuvre est également inspirée par les murs érigés pour contenir les migrants, comme dans l’enclave espagnole de Melilla au Maroc. C’est vraiment représentatif d’une Europe qui se transforme en forteresse pour arrêter les migrants.’’

 

Une nouvelle île

‘‘Isle of Venus traite davantage de l’impact de la migration. De ces milliers de personnes qui meurent chaque année en Méditerranée en voulant venir en Europe. Pour moi, chaque bateau qui sombre est une nouvelle île. Sur ces îles je dépose des statuettes de Vénus tirées de l’art classique européen, mais recouvertes de préservatifs. Les préservatifs revêtent pour moi une double signification. Ils vous protègent, mais vous empêchent en même temps de vous reproduire. De nombreux endroits en Europe sont si fermés… Pour moi, c’est un continent qui est freiné par sa propre histoire. Tout y est patrimoine, tout est à préserver, et les nouvelles cultures n’y ont pas leur place.’’

 

‘’Regardez l’Angola. Un pays africain, mais où j’ai appris à parler portugais, les colonisateurs européens y ont amené leurs religions,…Quand vous vous protégez des autres à ce point, quand vous êtes si peu ouvert à la culture des autres, c’est votre propre culture qui meurt. Car la seule façon pour une culture de s’épanouir, c’est l’interaction avec d’autres cultures.’

 

Oiseaux noirs

“ Mare Nostrum est une oeuvre de grandes dimensions. Ce titre signifie littéralement Notre mer, c’est le nom que les  Romains donnaient  à la Méditerranée. Je l’ai réalisée à Arles, dans le midi de la France. On y trouve d’énormes montagnes de sel tiré de la Méditerranée. J’en ai recouvert certaines parties d’une gigantesque toile noire. Cela donnait à certains moments des figures abstraites, et à d’autres quelque chose qui faisait penser à de grands oiseaux noirs. Ces derniers renvoient à cette pulsion naturelle, humaine, de migration.  On retrouve cela partout, et pas seulement en Afrique. C’est dans notre ADN, ça l’a toujours été.’’

 

  “L’Europe et l’Afrique sont toutes les deux également responsables dans cette crise  migratoire. En Afrique nous avons des problèmes par rapport à la corruption et aux guerres. Mais l’influence de l’Occident a toujours été grande - en ce compris dans ces guerres et cette corruption. La tragédie en Méditerranée est le résultat de décisions politiques désastreuses. Mare Nostrum veut nous amener à réfléchir en profondeur au rôle que chacun d’autre nous joue en politique. Même si vous pensez que tous ces endroits sont très éloignés et ne vous concernent en aucune façon, ils finiront quand même par avoir une influence sur votre vie.’’        

 

La ville du désert

‘’La quatrième oeuvre, Paradise Metalic, est une installation vidéo que nous avons réalisée au Moyen-Orient en 2014. Le film raconte l’histoire d’un homme qui tente de fonder une ville dans le désert. Rien ne se déroule comme prévu, la nature ne se laisse pas dompter, mais à la fin il réussit quand même à mettre en place une espèce d’ébauche de ville. Pour moi, cette oeuvre traite de l’aspiration des hommes à s’accaparer toujours davantage de terres sans le moindre respect pour la nature.  On y trouve aussi l’idée de l’entropie: tôt ou tard, tout finit par se défaire. L’être humain crée des structures, mais tout retourne en fin de compte au chaos.’’

 

“Il y a aussi un rapport avec les trois autres oeuvres : cette illusion qui veut qu’on puisse se créer ailleurs son propre paradis.”

 

Un deuxième Dubaï

“Je m’intéresse à l’architecture depuis mon adolescence. Heureusement que j’ai choisi en fin de compte à faire des études d’art, car cela me donne maintenant plus de liberté. Mais j’ai gardé mon intérêt pour l’architecture. Luanda, ma ville natale, a connu une énorme transformation ces dernières années. On y a érigé un peu partout de ces énormes bâtiments à façades réfléchissantes. Les promoteurs immobiliers voulaient en faire un deuxième Dubaï, mais sans tenir compte de ce dont les habitants de Luanda avaient vraiment besoin. Le résultat final est une vraie catastrophe. Le grand capital s’est approprié l’architecture, avec pour principale motivation la nécessité de blanchir de l’argent. Aucun compte n’a été tenu du but, de la raison d’être de l’architecture: créer des logements pour les gens. Ça m’a vraiment touché. Cette façon qu’ont les gens de ne voir dans des projets immobiliers rien d’autre que de l’argent a vraiment quelque chose de pervers. Et ça ne se passe pas qu’en Angola, bien au contraire. Vous trouverez ça également au Moyen-Orient, en Chine, en Amérique, en Europe... Partout vous trouverez des immeubles vides, et même des villes vides. Quand vous additionnez tous ces mètres carrés, vous obtenez un grand désert de béton. C’est précisément pour cette raison que j’ai réalisé Paradise Metalic en plein désert. Il existe  un parallèle entre le vide du désert et le vide de ces projets urbains abandonnés.”

 

Ici et maintenant

“Je me vois comme quelqu’un ayant grandi dans une famille chrétienne, d’origine noire mais comptant un grand-père européen. Un puzzle dont les pièces sont dispersées sur plusieurs endroits, plusieurs continents. Si je veux comprendre qui je suis, je dois aller plus loin qu’ici et maintenant. L’Angola a été colonisé durant de nombreux siècles et a entretenu tout au long de son histoire des rapports avec beaucoup d’autres lieux. Un tiers des Africains amenés comme esclaves en Amérique provenaient d’Angola – soit près de 4 millions de personnes. Ces faits continuent de résonner en moi. L’histoire n’appartient pas au passé.”

 

“Et ce qui se passe maintenant où que ce soit dans le monde a une influence sur  l'Angola et sur moi. Et sur vous. Je ne fais pas de distinction entre lieux sur la base de la distance géographique ou des frontières. Ce n’est pas ainsi que le monde est fait. C’est cela l’essentiel de mon message en tant qu’artiste : améliorer la communication, réduire les distances. Nous comprenons de mieux en mieux à quel point nous sommes tous reliés. Peu nmporte ce qui se passe et où : cela aura une influence sur nous tous.’’

 

“Le rapport entre l’Occident et l’Afrique aurait tout à gagner d’une meilleure communication. Nous devons nous respecter les uns les autres, pouvoir nous regarder droit dans les yeux en tant qu’égaux. Et comprendre qu’il existe différentes cultures, façons d’être et de penser. C’est ainsi que viendra le changement, en politique aussi. Je crois très profondément que nous pourrons de cette façon changer les choses et abattre les frontières.”

 

“L’humour peut aussi aider. Un artiste dispose de toute une gamme de stratégies pour attirer l’attention. J’ai beaucoup de respect pour mes collègues qui sont très directs, capables de choquer - mais ma stratégie c’est bien souvent l’humour. Beaucoup de mes sujets sont vraiment sérieux. Les gens n’ont pas toujours envie d’y être confrontés, ils ont du mal à en parler. L’humour peut permettre d’aborder ces sujets.”

 

S’informer en lisant

“M Louvain abrite une collection mixte: art contemporain et art ancien. Je trouve formidable de savoir que mon travail sera visible dans ce contexte. Peut-être que cela amènera les gens à réfléchir au temps et à l’espace. Ils pourront comparer des oeuvres anciennes et nouvelles. Voir les différences, mais aussi les similitudes.’’

 

“A ceux qui viendront voir mon exposition, je conseillerais de se documenter par quelques lectures sur ce sujet. Tout le monde a son histoire et l’interprète à sa façon. C’est une bonne chose. Mais j’aimerais aussi qu’on comprenne ce que je veux dire.”

 

Du 21.02 au 30.08 au musée M mleuven.be/kiahenda

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Commissaire d’exposition: Eva Wittockx