Les M-résidents Chantal en Maud
Les M-résidents Chantal en Maud
Au M, nous estimons avoir de multiples missions. Il ne s’agit pas seulement de conserver et d’exposer des oeuvres d’art, mais il faut aussi offrir à des artistes l’occasion de travailler en toute tranquillité à des projets – bref, de leur offrir une résidence. C’est ainsi que Chantal van Rijt et Maud Gourdon ont pu disposer pendant cinq mois d’un grand espace-atelier. Elles y travaillent à une installation commune. « Quand on travaille à deux, c’est comme si un avait un double cerveau. »
Toute chose à une histoire à raconter
Chantal: « Je suis originaire des Pays-Bas, mais j’ai fait des études de photographie au KASK à Gand. En préparant mon master, j’ai commencé à travailler davantage sur des installations et des objets. Je poursuis maintenant sur cette voie. »
Maud: « Je viens de France. J’ai fait des études d’illustration et de graphisme, après quoi j’ai entamé au KASK un nouveau master qui allait bien au-delà du seul dessin: nous nous familiarisions avec les techniques de la sculpture, le travail dans l’espace…"
Chantal: « Nous nous sommes rencontrées au KASK, mais notre première vraie collaboration a été une exposition collective dans le cadre de M-idzomer 2019.’
Maud: « Les oeuvres existaient déjà, même si nous ne les avions pas créées ensemble. Cela ne nous pas pas empêchées de les utiliser pour cette exposition. Et cette dernière est à l’origine de notre résidence de M. »
Le langage de la fiction
Chantal: « Notre recherche est très fortement centrée sur le langage - disons plutôt, sur des signes porteurs de sens. S’y ajoute aussi la façon dont on transmet du sens d’une langue à l’autre. Cela faisait déjà un moment que nous nous penchions sur la question. Pour nous, la langue peut prendre toutes sortes de formes. Pensons au code binaire grâce auquel les ordinateurs fonctionnent. Pour l’exposition qui s’est tenue lors de M-idzomer, j’ai fait des impressions des schémas que dessinent les vers à bois. Cela me faisait un peu fait penser à des cartes perforées ou au braille - c’est aussi du langage. »
« En ce moment, je travaille sur le bostryche typographe, un coléoptère qui vit dans l’écorce des arbres. Il y creuse des galeries qui ressemblent un peu à des lettres. J’ai recueilli trois branches où l’on voit les traces laissées par les insectes. J’ai réussi à en extraire huit « lettres », dont j’ai pris des empreintes en silicones. Ce sont les positifs au départ desquels je fais des moules, les négatifs. Il m’arrive de continuer sur ma lancée - copier-coller, copier-coller,… Avec ces copies je fais des collages, au départ desquels je fais à nouveau des moules et de nouvelles copies. En fait, c’est comme une machine à copier. »
Maud: « La langue et le texte sont mon sujet principal - et même ma façon de penser. Je prends des mots et les déforme -j’invente des jeux de mots... Créer quelque chose de totalement différent par un petit changement: j’aime beaucoup ça. »
« Lorsque Chantal m’a montré les traces laissées par le bostryche typographe, j’ai pensé tout de suite : et si nous partions de l’idée que ces traces ne sont pas aléatoires, mais porteuses de sens - d’une signification que nous sommes incapables de traduire? C’était là, en germe, notre projet. Moi aussi, je cherche des choses comme ça dans la nature : je travaille avec des écorces de melon séchées, avec des graines, . . . Pour autant qu’on soit un peu spéculatif, tout contient de l’information. Toute chose a une histoire à raconter. »
« Chantal utilise le copier-coller pour reproduire et diffuser cette langue. Ceci entraîne à chaque fois une légère déperdition de sens, car aucune copie n’est parfaite. Mais on trouve aussi de nouvelles informations. Pour ce projet, je voudrais aller en sens opposé : concentrer la langue à l’extrême, jusqu’au point où seule subsiste l’information. Les graines en sont un excellent exemple puisqu’on y trouve toutes les informations nécessaires au développement de la plante. »
Double cerveau
Chantal: « Beaucoup de choses sont nouvelles pour moi dans ce projet: la collaboration avec Maud, le travail sur la langue, les matériaux… Mais je perçois très bien le rapport avec la photographie. Les positifs et les négatifs que je fais - copies de la vraie vie.’
Maud: « Une partie du projet m’est familière. La fascination pour la langue, par exemple. Et créer de la fiction aussi. C’est ce que j’ai étudié: écrire des textes, construire un récit, réunir texte et image de façon à présenter ce récit de la meilleure manière possible… Mais j’ai bien sûr appris beaucoup de nouvelles choses. Par exemple, je n’avais jamais encore travaillé avec des matériaux organiques. A lot of problems (rit)! Et Chantal m’a appris à faire des cyanotypes, un procedé davantage photographique. C’est précisément pourquoi nous travaillons ensemble: pour acquérir de nouvelles compétences, de nouvelles façons d’aborder les choses. C’est vraiment gai . En fait, on se retrouve avec un cerveau double, ce qui fait que les choses vont beaucoup plus vite. Et parfois beaucoup plus lentement (rit).’
Chantal: « Nous parlons sans cesse de ce que nous sommes en train de faire. Nous partageons les résultats de nos recherches. Cela débouchera probablement sur des oeuvres que nous réaliserons davantage en commun. »
Maud: Pour moi, peu importe à qui une oeuvre est attribuée. Même si je devais l’avoir réalisée sans que Chantal y ait mis du sien - eh bien, cela reste une collaboration , ne serait-ce que par nos discussions et la direction que nous avons choisie à deux. Naturellement, cela se verra: cette pièce-ci c’est davantage du Chantal, et celle-là plutôt du Maud. We are not merging. Mais nous réagissons évidemment l’une par rapport à l’autre.’
Rafraîchissant
Chantal: « Cette résidence est une occasion unique. Nous avons un beau et vaste atelier, on nous a donné un budget… Ceci nous donne l’espace mental qu’il faut pour expérimenter. »
« Ici à Cas-co (Ancien immeuble industriel transformé en ateliers d’artistes. M y dispose de son propre atelier, NDLR.), on trouve des représentants d’autres disciplines qui viennent vous demander des conseils. En plus, on dispose d’une infrastructure à laquelle on n’aurait normalement jamais pu avoir accès.’
« Ce qui est important aussi, c’est que des collaborateurs du musée passent nous voir de temps en temps. Et nous avons droit à des visites d’atelier de la part de conservateurs. Ils viennent examiner nos travaux et nous donnent leur avis. Il est toujours intéressant d’avoir l’avis de personnes qui s’y connaissent vraiment. Et puis ça permet de se faire un réseau. »
Maud: « Ce qui me plaît particulièrement dans cette résidence, c’est qu’on nous donne la possibilité de prendre des risques. Pendant nos études on fait aussi des expériences, mais ensuite cela devient une partie bien plus réduite de notre pratique. Il faut faire des choses pour gagner de l’argent, et on se concentre davantage sur le résultat final. Mais grâce à cette M-résidence -le budget, l’atelier, l’assistance- j’ai enfin la possibilité d’essayer d’autres choses. Je peux enfin laisser s’épanouir mes idées dormantes. »