Huma Bhabha à M

Huma Bhabha à M

Huma Bhabha in her studio in Poughkeepsie, New York, 2018

Huma Bhabha in her studio in Poughkeepsie, New York, 2018. Photo: Lauren Lancaster

Huma Bhabha, née à Karachi au Pakistan, est partie aux États-Unis à l'âge de 19 ans pour y suivre des études artistiques à la Rhode Island School of Design. Elle a dû attendre d'avoir 41 ans, en 2004, pour qu'ait lieu sa première exposition personnelle à New York. C'est une bonne chose, pense-t-elle : « Si on n'attire pas beaucoup d'attention quand on est jeune, on suit sa propre voie. Et celle-ci vous conduit dans des endroits où personne ne vient. »

Huma Bhabha in her studio in Poughkeepsie, New York, 2018

Huma Bhabha in her studio in Poughkeepsie, New York, 2018. Photo: Lauren Lancaster

Je n'ai pas peur des émotions. Elles donnent une plus grande puissance aux œuvres

Huma Bhabha

South Park

Une autre facette de votre travail, ce sont les dessins. Vous les réalisez souvent par-dessus des photos que vous avez prises vous-même. Là aussi, on retrouve les niveaux et influences multiples.
« Vers la fin des années 1990, j'ai dû abandonner mon atelier pendant quelque temps. Je me suis alors mise à beaucoup dessiner à la maison. Je travaillais comme réceptionniste dans une agence de graphisme. Elle disposait d'une bibliothèque fournie, donc dès que j'avais un moment, j'allais y feuilleter les livres. Mon préféré était un ouvrage des années 1960 sur la sculpture indienne, illustré de grandes photos noir et blanc de statues de Shiva à trois ou cinq têtes. J'y ai puisé beaucoup d'idées, tout comme dans la série “Sub-Mariner” de Marvel, présente dans la collection de comics de mon mari. Ce style graphique est époustouflant et m'inspire beaucoup. J'aime aussi l'anime japonais, même si je ne sais pas dessiner comme ces artistes. »


« Il y a même certains épisodes de “South Park” que je considère comme des œuvres d'art. Ce sont les créateurs eux-mêmes qui ont dessiné les premières séries ; elles étaient acceptables, mais la qualité est devenue fantastique au moment où ils ont fait appel à des dessinateurs et coloristes de talent. Impossible d'en détourner le regard. »


« C'est comme pour les sculptures : on a toutes ces influences en tête et elles contribuent à façonner ce qu'on crée. L'endroit où j'ai grandi, Karachi, est aussi très présent dans mes dessins. Je dessine souvent sur des photos que j'ai prises à Karachi au cours de ces 15 dernières années, à proximité de la plage et du quartier où j'habitais. Mes souvenirs les plus anciens sont ceux de trajets en voiture pour aller à l'école, dix minutes à travers ce paysage désertique tout plat. Il y a quelques cactus, des palmiers et des buissons typiques du désert, mais pour le reste c'est aride, désolé et superbe. Je ne suis pas nostalgique, mais je porte en moi les couleurs de cette période de ma vie. Je porte ce paysage en moi. »


« Il y a certaines choses qui me plaisent à Karachi, mais qui n'intéressent probablement personne d'autre. Un grand trou dans le trottoir, par exemple. Des choses que je trouve attendrissantes et qui ne peuvent exister que là. C'est ce que je prends en photo. »


« Chaque année on y voit plus de constructions. Une année je photographie des soubassements, l'année suivante on y voit un étage… Karachi donne l'impression d'être en ruines, comme tant de villes du tiers-monde. Car pour bâtir une maison, on commence par les fondations, on attend de réunir assez d'argent pour continuer, puis on en construit un peu plus. Je trouve toutes ces fondations inachevées particulièrement intéressantes. J'ai cru y voir des socles pour des œuvres gigantesques, monumentales. C'est ainsi que j'ai commencé à dessiner par-dessus des photos de ce paysage. J'ai aussi créé des sculptures que j'ai ensuite photographiées dans ce même paysage. À cause de l'angle de prise de vue, on pourrait croire que les œuvres sont immenses, alors qu'elles mesurent environ soixante centimètres. »

 

Quand considérez-vous qu'une pièce est terminée ?
« Il y a de toute façon toujours un point où je dois arrêter (rires). Travailler trop longtemps à une pièce est possible – d'ailleurs, ça arrive parfois et à ce moment-là il faut enlever quelque chose pour rétablir la fraîcheur. J'aime les surfaces brutes. Je me demande parfois : “Oh, est-ce que ça n'a pas été trop peaufiné ?”, alors que pour d'autres personnes, “peaufiné” serait sans doute le dernier adjectif qui leur viendrait à l'esprit (rires). »


« Karachi a aussi ce côté brut. J'y suis très attachée et je crois le comprendre. C'est ce sentiment-là que je veux mettre dans mes œuvres et je pense y être parvenue – dans une certaine mesure. »

 

Votre travail a aussi un côté humoristique. Pourquoi ?
« À cause de mon sens de l'humour, je suppose (rires). Parfois, quand on exagère à outrance, ça devient amusant – peut-être pas pour tout le monde, mais de toute façon pour moi. C'est aussi pour cette raison que j'aime l'horreur et la science-fiction : il y a toujours de l'humour dedans. Après une explosion, par exemple, on voit une basket qui se calcine et dont sort un tibia. C'est horrible, bien sûr, mais aussi très drôle. »


« Il ne faut jamais trop se prendre au sérieux. Je me vois comme une travailleuse manuelle et comme quelqu'un qui développe ses compétences, mais je ne veux pas sembler prétentieuse, car je n'aime pas ça. L'humour est une arme excellente contre la prétention. »

Huma Bhabha à M

Huma Bhabha est une référence internationale de l'art plastique actuel. Elle est renommée pour son langage visuel caractéristique, dont la thématique centrale est la figure humaine sous toutes ses formes expressives. Ses créatures fascinantes et monumentales expriment la puissance, tout en révélant la vulnérabilité de l'être humain dans le monde.


M organise la première exposition dans un musée belge de l'œuvre hors pair de Bhabha. L'expo réunit des sculptures et grands travaux sur papier de ces quinze dernières années, provenant de collections publiques et privées belges et étrangères. L'exposition est une collaboration avec le MO.CO. Montpellier Contemporain, qui présentera le travail de Bhabha à partir de novembre 2023.

Untitled, Huma Bhabha, 2021, private collection

Untitled, Huma Bhabha, 2021, private collection. Courtesy of the artist & Xavier Hufkens, Brussels, photo: Adam Reich

'Huma Bhabha. LIVIN' THINGS', du 10.06.23 au 29.10.23 à M