Le nouveau film d'Ericka Beckman en première mondiale au M
VIRUS
Le Covid-19 a eu effet considérable sur votre film : pour la seconde partie, vous n'avez plus pu tourner avec des acteurs.
« Oui, nous avons dû nous en accommoder. J'ai utilisé quasiment toutes les séquences avec des acteurs dont je disposais encore. La seconde partie contient davantage d'animations que la première. Et en collaboration avec mon compositeur attitré, Brooke Halpin, j'ai écrit énormément de paroles de chansons pour en arriver à un ensemble cohérent. »
« De telles chansons se retrouvent dans un grand nombre de mes films. Leur fonction est comparable à celle des chœurs du théâtre grec :, elles commentent l'action, tout en apportant un rythme et une structure. D'habitude, j'écris ces paroles tout au début du processus de création, puis je les passe à Brooke et nous les structurons ensemble. Pour finir, c'est à leur rythme que j'effectue le montage des images que j'ai tournées. »
En plus de ‘Reach Capacity’, vous présentez au M une œuvre multimédia, ‘Nanotech Players’ (1988), et un film de vos débuts, ‘You The Better’ (1983). Les deux films présentent d'importants parallèles : les couleurs, les ouvriers, les paroles des chansons, le sujet, le lien au jeu… Est-ce intentionnel ?
« Oui, dès le départ nous avons eu l'intention de les présenter ensemble. C'est une façon de regarder en arrière, vers l'époque où j'ai débuté comme artiste. L'économie américaine a radicalement changé depuis lors, mais les racines de ce que nous observons actuellement remontent aux années 1980, à l'époque de Reagan. Voilà pourquoi j'ai voulu une interaction entre les deux films. Ils délimitent une certaine période dans mon travail. »
INVERSION
Vous ne présentez pas seulement ces films, mais aussi une installation.
« Oui, comme nous présentons les deux films dans la même salle au M, nous réfléchissons à l'ordre dans lequel il faut les voir. Nous nous servirons probablement de l'éclairage pour faire comprendre au public que le premier film est terminé et que l'autre va commencer. »
« Des éléments sculpturaux accompagnent aussi les films. Pour ‘You The Better’, il s'agit de grandes tables lumineuses en forme de maisons du Monopoly, comme on en voit dans le film. Les motifs de l'éclairage et la couleur des maisons évoluent en fonction de l'action. Les maisons donnent le rythme, tout en étant porteuses de sens. Elles remplissent de nombreuses fonctions dans le film ; à la fin, par exemple, elles deviennent le panneau d'affichage des scores. Ça, on le verra aussi dans l'espace. »
« Pour ‘Reach Capacity’, je veux inverser l'écran entre la première partie et la seconde. Et il y aura des barrières de sécurité en plastique – qu'on voit aussi dans le film. »
Pour finir : vous réalisez vos animations à la main sur pellicule. C'est un travail long et ardu, alors qu'actuellement tout peut se faire en animation numérique. Pourquoi continuez-vous à opter pour cette méthode ?
« Je vais vous dire pourquoi : parce que je prends plaisir à me tromper. Je ne crois pas que nous vivons dans un monde parfait et que tout doit être parfait. Je fais des choses dont je ne découvre le résultat qu'après le développement du film. Si ça fonctionne, mais sans être ce que j'avais en tête, j'aime m'engager dans la voie indiquée par cet “accident de parcours”. Le travail numérique est complètement différent : on voit immédiatement le résultat et on peut continuer à le modifier sans cesse. C'est parfait si c'est cela qu'on veut, mais moi, j'opte pour les erreurs. J'opte pour les accidents de parcours. Je ne veux pas être perfectionniste. »
Vous amusez-vous en réalisant vos animations ?
« Certainement. En les réalisant, mais aussi en découvrant le résultat. Wait and see. C'est un pur plaisir ! »
Ericka Beckman. 09.10.2020 - 18.04.2021